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LES BOMBARDEMENTS Le 6 juin, au soir, vers 20 h 30, le
premier bombardement touche les quartiers est de Lisieux : la gare,
l'hôpital, les écoles Jules Ferry et Michelet, la rue des Petits Jardins, le
boulevard Nicolas Oresme, la rue d'Orival
, le boulevard Herbet-Fournet. Une cousine de mes parents est tuée rue d'Orival,
son fils, Nuit du 6 au 7 juin : entre 1 h 20 et 1 h
50 a lieu le bombardement le plus meurtrier. Il touche principalement les
quartiers ouest : Saint Désir ainsi que le centre ville. Nous habitions Saint
Désir, à l'entrée du chemin de la
Cavée, en plein dans la zone touchée ! Des avertissements à la population
l'incitant à quitter la ville ont sans doute été lancés mais le vent les a
poussés vers la campagne environnante ... toujours est-il que nous n'avons
pas eu connaissance de ces tracts ... " Le 6 juin, tôt le matin et toute la matinée
, nous avons
entendu un grondement ininterrompu venant de la direction de la côte: c'était
le débarquement que tout le monde attendait... Une bonne partie de la journée, des chars allemands ont traversé la
ville. Assis sur une grosse pierre, à l'entrée du chemin de la Cavée, je les
ai regardé passer : ils avaient
traversé Lisieux, ils pivotaient sur leurs chenilles au carrefour de la rue de
Caen et de la route de Dives pour s'engager dans cette direction. Beaucoup de ces chars étaient peints couleur sable. Il
faisait chaud, le goudron fondait, bientôt, le carrefour n'a pas tardé à
être défoncé... Quel spectacle... ( Note : il
s'agissait de blindés du Panzer Regiment 22 de la 21 Pz Division
. Ce régiment, commandé par le Colonel Hermann
Von Oppeln-Bronikowski, était stationné dans la région de Livarot et se
dirigeait vers Caen et la mer. Au cours de son déplacement, il eut à subir de
nombreuses attaques aériennes). Mon père n'étant pas rentré, des amis voisins, sont venus dormir à la maison. Nous avions mis des matelas par terre. Avec mon frère, nous étions installés sur le palier.... et nous dormions, tout habillés. C'est en pleine nuit, vers une heure, que les bombes ont commencé à tomber : les explosions se succédaient , un bruit énorme... Je pense que c'est le carreau du vasistas qui surplombait le palier où nous étions couchés qui, en tombant, nous a occasionné quelques coupures à la tête, on ne s'en est aperçus que plus tard. Nous sommes tous descendus dans le couloir, au rez-de-chaussée. La porte qui donnait sur une écurie était défoncée; par le trou, j'ai vu les maisons d'en face détruites enveloppées de poussière. Dès que nous sommes arrivés dans ce couloir, notre voisin a aussitôt ouvert la porte qui donnait sur l'extérieur; il nous dira plus tard, qu'ayant eu l'expérience de bombardements en Allemagne, on ne peut plus ouvrir à cause des gravats; ce qui s'est révélé exact. Combien de temps a duré ce bombardement ? Je n'en ai aucune idée ; longtemps... La maison s'écroulait de partout; nous étions couverts de poussière et de plâtre . Ma mère est remontée à l'étage chercher une valise qu'elle avait préparée. Qu'y avait-il dedans? Des vêtements et quelques objets précieux sans doute ? Pendant ce temps-là, mon jeune frère et moi étions restés dans le couloir avec notre voisine. Chaque explosion, nous soulevait de terre ... j'ai vu quelque temps après, l'entonnoir creusé par une bombe à environ dix mètres de l'endroit où nous étions, le mur de la cave et celui du couloir nous avaient protégés ! Ma mère me dira plus tard que , lorsqu'elle est remontée, elle a vu tous les meubles renversés... Nous savions que nous ne pourrions sortir de là vivants ... la prière était faite ! C'est alors qu'il y a eu une accalmie... Qui a décidé que c'était le moment de se sauver ? Je ne me souviens pas. Notre première intention avait toujours été de filer par le chemin de la Cavée et gagner la campagne au cas où un événement comme celui-là se produirait. Nous n'avons pas pu : la maison de la voisine obstruait le chemin. Beaucoup de gens qui s'étaient réfugiés dans une ferme au bout de ce chemin ont été tués. Il ne restait qu'une issue : la route de Dives. Arrivés au bout du chemin, à une vingtaine de mètres de la maison ne voyant pas ma mère venir, j'ai fait demi-tour: elle était aux prises avec un soldat allemand blessé, il s'était accroché à elle et je l'entendais dire : « Kaput! Madame, kaput... »». J'ai réussi à la dégager et à repousser l'Allemand qui est tombé à terre... La peur donne des forces ... Je l'ai aidée à porter la valise, nous avons rejoint mon frère et les voisins et nous nous sommes éloignés au plus vite. Les bombes ne tombaient plus. Nous marchions dans un enchevêtrement de poteaux et de fils électriques sur un tas de décombres... Des gens appelaient.... l'un, de l'étage d'une maison qui n'avait plus de façade, un autre, depuis le talus sur notre droite. Des maisons brûlaient.... Nous ne nous sommes pas arrêtés !
Nous sommes enfin sortis de Lisieux ! Sauvés ! Nous avons fait halte au milieu de la route ! C'est alors que le bombardement a repris... Des éclats tombaient près de nous! Nous avons repris notre marche .. La nuit était devenue calme, il régnait une pénombre, nous n'entendions plus le bruit des bombes. Quel curieux effet que de se retrouver en pleine nuit sur une route alors que quelques instants avant nous étions dans l'enfer ! On a du mal à réaliser... Je m'attendais à retrouver les chars qui étaient passés la veille... Nous avons frappé à la porte d'une petite maison en bordure de la route. Les gens nous ont ouvert, ils dormaient et n'avaient rien entendu.... Ils ont quand même vu qu'il s'était passé quelque chose en constatant l'état dans lequel nous étions. Nous avons passé le reste de la nuit chez eux et sommes repartis au matin. Nous n'avons jamais revu ces gens-là.... Nous sommes arrivés dans la matinée à la Pommeraie, dans une ferme dont nos voisins connaissaient les propriétaires . Eux non plus n'avaient rien entendu. Après avoir écouté le récit des événements, ils nous ont installé des matelas et nous avons sombré dans un profond sommeil jusque tard dans l' après-midi .... Je crois que c'est en fin de journée (ou le lendemain) que mon père, après nous avoir cherché dans les fermes aux alentours de Lisieux a fini par nous trouver à la Pommeraie. Il était accompagné de son cousin, sa femme avait été tuée et son fils blessé au bombardement de la rue d'Orival. Bien sûr, il avait trouvé notre maison en ruines et l'Allemand mort à l'entrée du chemin... mais aucune trace de nous... on peut imaginer son inquiétude ! " Les équipes de secours de la Défense Passive n'arrivent plus à faire face aux demandes de secours. La situation est tragique. Les prêtres de la Mission de France se dépensent sans compter ... Lisieux ne sera pas la seule ville bombardée cette nuit-là : près d'un millier de bombardiers Lancaster et Halifax, partis d'une base du sud de l'Angleterre, largueront un peu plus de 3 000 tonnes de bombes sur des carrefours routiers de Caen, Argentan, Coutances, Condé-sur-Noireau, St Lo, Vire ... D'autres bombardements vont suivre sur Lisieux déjà gravement touchée :: Le 7 juin, à 14
h, c'est le centre ville qui est visé, la rue au Char, la place Victor Hugo.
Les incendies se déclarent. Les pompiers de Lisieux essaient de lutter au prix
de victimes dans leurs rangs. ( 3 pompiers sont ensevelis rue St Dominique, 1
est blessé rue aux Fèvres. Le matériel est presque totalement détruit. ) Ils
reçoivent le renfort de pompiers d'Orbec sous la conduite d'un sergent.
28 juin : la ferme Saint Clair, sur la
route de St Julien bombardée. Le 3 août, la Feldkommandantur réquisitionne des hommes pour effectuer des travaux de déblaiement. Le 4 août voit s'amorcer le repli allemand. Dans la
nuit qui a précédé, on a pu noter une circulation intense de véhicules de
toutes sortes, y compris des voitures à chevaux ... Des déviations
ont été mises en place pour contourner la ville. Le décrochage s'accentue ...
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